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Actualités juridiques et fiscales
17 septembre 2024

La réforme du quasi-usufruit

La réforme du quasi-usufruit

Dans les stratégies de transmission de patrimoine, la donation avec réserve d’usufruit et le mécanisme du quasi-usufruit sont des outils particulièrement usités car ils permettent d’une part de réduire l’assiette des droits de donation ou succession et d’autre part, pour le donateur de conserver les revenus ou l’usage du bien donné.

Si les donations avec réserve d’usufruit ne sont qu’exceptionnellement contestées par l’administration fiscale et ne posent guère de problèmes (hormis le cas des successions transnationales), le mécanisme du quasi-usufruit est particulièrement honni par l’administration fiscale. Elle a d’ailleurs tenté à plusieurs reprises d’utiliser le mécanisme répressif de l’abus de droit pour contester ce type d’opérations, le bien souvent sans succès.

Avant toute chose, il convient de clarifier les notions d’usufruit simple et de quasi-usufruit.

Un usufruit simple porte sur un corps certain (un immeuble, un compte titres, des titres…) tandis que le quasi-usufruit porte sur des biens consomptibles comme une somme d’argent, des grains (i.e. art 587 c.civ).

A titre d’illustration prenons l’exemple suivant : un parent décide de donner la nue-propriété d’une maison de famille à l’un de ses enfants. L’usufruit porte sur un immeuble : on parle alors d’usufruit simple.

A la suite d’un changement d’objectifs patrimoniaux, le nu-propriétaire et l’usufruitier décident de vendre le bien et, conjointement, de reporter le démembrement de propriété sur le prix de vente comme le permet le Code civil. Le démembrement portant désormais sur une somme d’argent on parle alors de quasi-usufruit et dans ce cas particulier, de quasi-usufruit conventionnel car il résulte de la volonté des parties.

Concrètement cela se traduit par le versement de l’intégralité du prix de vente entre les mains de l’usufruitier à charge pour lui de rendre l’équivalent à son décès. Le nu-propriétaire devient alors titulaire d’une créance sur le patrimoine de l’usufruitier qui n’est exigible qu’au décès de ce dernier. La créance est alors déductible de l’assiette des droits de succession.

Certains contribuables et leurs conseils particulièrement ingénieux ont eu l’idée de démembrer des sommes d’argent pour optimiser le coût fiscal de leur succession.

Prenons un exemple pour illustrer ce point :

Monsieur Rheto 55 ans décide de donner à son unique fils chéri la nue-propriété d’une somme d’argent pour un montant de 300 000 €. Le démembrement portant sur une somme d’argent, le père (donateur) sera quasi-usufruitier. L’enfant (donataire) sera nu-propriétaire.

Pour le calcul des droits de donation et en application de l’article 669 I du CGI la valeur de l’usufruit est de 50 % de la valeur de la somme donnée. Par construction la nue-propriété vaudra 50 %.

Les droits de donation seront calculés sur la valeur de la seule nue-propriété soit 150 000 €. En pratique :

  • Monsieur Rhéto conservera la pleine propriété des 300 000 € à charge pour lui d’en faire ce qu’il veut voire de les consommer. Si à son décès la somme n’existe plus, la valeur de la créance de restitution (300 000 €) s’imputera sur la valeur des autres actifs.
  • Son fils parallèlement sera titulaire d’une créance sur le patrimoine de son père, exigible au décès de ce dernier. Le fils appréhendera au décès de Monsieur Rhéto, une somme de 300 000 € en franchise de droit de succession.

Dans une affaire qu’a eu récemment à connaître le comité de l’abus de droit fiscal, l’administration contestait ce type de montage sous l’angle de l’abus de droit (abus de droit par fictivité). Une mère avait donné la nue-propriété d’une somme d’argent à ses deux enfants pour un montant de 3 200 000 € soit 1 600 000 € par enfant.

L’administration usant de l’adage « donner et retenir ne vaut » tentait de démontrer que la donation était fictive. Elle estimait que le donateur s’était réapproprié le prix de vente.

Le comité de l’abus de droit n’a suivi que très partiellement l’administration fiscale, relevant que le patrimoine du donateur était largement suffisant pour assurer le paiement de la créance de restitution et qu’en conséquence du fait de la possibilité de rembourser la créance de restitution, la donation n’était pas fictive. Le comité n’a retenu l’abus de droit que pour la partie de la donation portant sur une somme d’argent n’existant pas au jour de la donation. En l’espèce la donation portait sur 3 200 000 € alors que le patrimoine du donataire au jour de la donation ne comprenait qu’environ 2 950 000 € de liquidités. Le donateur ne pouvait donner ce qui ne lui appartenait pas (jurisprudence constante)

L’administration s’est rangée à l’avis du comité de l’abus de droit. Gageons que si l’administration avait invoqué l’autre branche de l’abus de droit (abus de droit par fraude à la loi, prohibant les montages à but exclusivement fiscal) la solution rendue eut pu être différente et nettement moins favorable au contribuable.

Objet de beaucoup de commentaires des praticiens du droit, le débat a finalement été définitivement tranché par le législateur avec l’adoption de la loi de finances pour 2024. En interdisant désormais la déduction pour le calcul des droits de succession de la créance de la restitution issue du don de la nue-propriété d’une somme d’argent, la loi met fin à tous les atermoiements. (i.e. nouvel article 774 bis du Code Général des Impôts)

La valeur de la créance de restitution, en cas de donation de la nue-propriété d’une somme d’argent, ne pourra plus être déduite fiscalement de la succession du nu-propriétaire. Aussi si vous avez donné la nue-propriété d’une somme d’argent, vos héritiers seront taxés sur la valeur de la créance de restitution. Peut-il pour autant en résulter une double taxation ?

Si l’on raisonne sur l’affaire soumise à l’appréciation du comité de l’abus de droit, la donataire a donné à chacun de ses enfants la nue-propriété d’une somme d’argent de 1 600 000 €. Âgée de plus de 81 ans à l’époque des faits, l’assiette des droits de donation était de 1 280 000 € avant application de l’éventuel abattement de 156 974 € en vigueur en 2010, la donation a généré a minima 300 900 € de droits par enfant.

Sous l’empire de la nouvelle loi, les enfants devraient acquitter chacun 720 000 € (hyp. TMI succession 45 %) à nouveau sur les 1 600 000 € qu’ils recevraient. La facture augmente donc de 420 000 € par enfant.

Conscient du problème et ne voulant sans doute pas subir les foudres du Conseil constitutionnel, le législateur a néanmoins prévu que les droits acquittés lors de la constitution de l’usufruit pourront être imputés sur les droits dus par le nu-propriétaire, sans pouvoir donner lieu à restitution (i.e. art 774 bis II, al. 4 du C.G.I.)

Aussi si vous êtes concerné vous pourrez déduire les éventuels droits payés lors de la donation. Il semblerait également qu’en cas de consommation de l’abattement, celui-ci soit « recrédité ». Cette situation est applicable à tous les décès survenus à compter du 29 décembre 2023 (i.e. article 26 II de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023)

Notons que la loi a prévu que reste déductibles les dettes du quasi-usufruitier lorsqu’elles ont pour origine :

  • le quasi-usufruit successoral du conjoint survivant (assez rare en pratique)
  • le quasi-usufruit constitue sur le prix de cession d’un bien non contracté dans un objectif principalement fiscal.

 

Le point de vue Rhétorès :

La remise en cause de la déductibilité de la créance de restitution liée à la donation de la nue-propriété de somme d’argent doit attirer votre attention sur plusieurs points :

  • Les donations de la nue-propriété de sommes d’argent réalisées avant la promulgation de la loi sont concernées dès lors que l’usufruitier est encore vivant à ce moment (i.e. article 26 II de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023)
  • Si l’intervention du législateur sous la pression de Bercy n’est pas étonnante, pouvons-nous craindre une extension de la remise en cause de la déductibilité de la créance de restitution ?

A priori, le législateur ne remet pas en cause les situations subies (quasi-usufruit successoral du conjoint survivant) mais reste attentif aux autres cas (quasi-usufruit conventionnel notamment), d’autant que ce changement intervient dans le cadre d’un mouvement de fond.

Le fait que la loi de finances 2024 ait été adoptée par le mécanisme de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution complique encore la donne et empêche d’être éclairé sur la volonté du législateur en l’absence de débats parlementaires. Les termes usités dans la rédaction de l’article « sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal » sont particulièrement ambigus et interrogent. Cette rédaction fait double emploi avec l’article L64 A du Livre des Procédures Fiscales (LPF) instaurant un abus de droit principalement fiscal. En reportant la charge de la preuve sur le contribuable, la loi créée une incertitude et un inconfort juridique préjudiciable au contribuable. Il est en effet plus confortable pour un contribuable d’être dans une situation, où c’est à l’administration de prouver que l’opération est réalisée dans un but principalement fiscal plutôt que, pour le contribuable, de devoir démontrer que l’opération n’est pas réalisée dans un but principalement fiscal.

A notre sens, il conviendrait d’être particulièrement vigilant notamment sur les opérations de donation-cession avec report du démembrement sur le prix de vente. Cette opération semble particulièrement visée par les termes « principalement fiscal ». L’administration fiscale a tenté déjà à plusieurs reprises de remettre en cause ces opérations tant par la loi[1] que par la tentative de mise en œuvre de la procédure répressive de l’abus de droit chaque fois sans succès (hors le cas des montages caricaturaux).

Gageons que la publication d’un Bofip[2] relatif à la déduction de la créance de restitution viendra rapidement clarifier certains points. Dans cette attente et de celle d’une jurisprudence établie, le recours au rescrit fiscal semble un préalable à toute opération faisant intervenir un quasi-usufruit notamment en cas d’opérations de donation-cession.

En conclusion, la prudence est de mise sur ce type d’opérations, qu’elles soient passées ou à venir. En présence d’opérations patrimoniales utilisant le mécanisme du quasi-usufruit, la prudence impose de les réexaminer à lumière de la nouvelle loi. Dans le cas où une situation à risque serait alors identifiée, il conviendrait d’envisager des opérations de sécurisation. Ironie de l’histoire la TVA collectée sur les honoraires de conseils liées aux ambigüités de la loi nouvelle risque de plus rapporter plus aux finances de l’Etat que le durcissement des conditions de déductibilité de la créance de restitution.

 

Richard Godon & Joachim Martellier

 

[1] Projet loi de finances rectificative de 2012, censuré par le Conseil constitutionnel (2012-661 DC du 29/12/2012 §20)

[2] BOFIP est un acronyme pour désigner le Bulletin Officiel des Finances Publiques. Lorsque l’administration prend position dans le BOFIP celle-ci est opposable à l’administration. (art. L 80 A du LPF)

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